Dans cet article, je vais aborder le thème des courbatures. Un phénomène très commun pour les sportifs, mais mal compris d’un point vu physiologique. L’objectif est donc de vous expliquer l’ensemble des mécanismes qui se cachent derrière ces douleurs, qui peuvent être gênante. L’objectif est de mieux les comprendre. Ce qui m’amènera à la publication d’articles sur la prévention des courbatures.

1. Quelques rappels fondamentaux sur les courbatures [1]

L’apparition des courbatures ou douleurs musculaires d’apparition retardée (Delayed onset muscle soreness, DOMS pour les anglo-saxons) à lieu en général après des contractions musculaires excentriques ou des formes d’exercice jamais pratiquées auparavant. En effet, la pratique d’un nouveau sport, une reprise ou une nouvelle façon de s’entraîner sont souvent à l’origine de courbatures.

Les premières manifestations cliniques des courbatures commencent 6 à 12 heures (et parfois jusqu’à 48 heures) après l’exercice. Les symptômes augmentent progressivement jusqu’à atteindre un niveau de douleur maximal 48 à 72 heures après l’entraînement. Ensuite, les symptômes diminuent jusqu’à disparaître 5 à 7 jours plus tard (parfois jusqu’à 10 jours).

Les symptômes des courbatures sont variés :

  • Une diminution de la force musculaire
  • Une douleur à la mise en tension (étirement, contraction ou palpation). En général, on ne retrouve pas de douleur au repos.
  • Une raideur diminuant l’amplitude articulaire
  • Un œdème musculaire
  • Une modification de la biomécanique des articulations adjacentes.
  • Une altération du contrôle moteur

A savoir : les muscles contenant davantage de fibres de types II sont plus susceptibles d’avoir des courbatures.

Les courbatures sont considérées comme un type de dommage musculaire léger, mais ils sont l’une des raisons les plus courantes des performances sportives compromises.

Après ce bref rappel sur les symptômes, je vais vous expliquer les mécanismes physiologiques qui se cachent derrière l’apparition des courbatures.

2. La fausse piste de l’acide lactique [2]

L’hypothèse de l’acide lactique pour origine des courbatures a depuis été longtemps mise de côté, même si pour beaucoup de sportifs elle reste encore bien ancrée. En effet, l’acide lactique est retrouvé à des niveaux accrus dans les muscles et le plasma peu de temps après un effort. Cependant, cette hypothèse a été fortement discréditée par la découverte que l’exercice concentrique, qui implique un métabolisme plus important, ne produit pas ou moins de courbatures, comparativement à un travail excentrique. De plus, les niveaux d’acide lactique reviennent à des taux normaux dans l’heure qui suit l’exercice, alors que les courbatures apparaissent bien plus tard. Par conséquent, bien que l’acide lactique puisse contribuer à la douleur aiguë associée à la fatigue après un exercice intense il ne peut être responsable de l’apparition de courbatures.

3. Les causes communes d’explication des courbatures

Les courbatures, sont aussi expliquées par l’hypothèse de l’association entre les dommages musculaires et l’inflammation qui se produit à la suite d’un effort intense.

3.1 Les dommages musculaires [1,2]

Les analyses de biopsies musculaires à la suite d’un travail excentrique, ont révélé des lésions ultrastructrurelles du muscle, notamment :

  • Un gonflement marqué de la fibre musculaire
  • Un élargissement de la bande Z
  • Des sarcomères désorganisés dans les myofibrilles
  • Une perte de protéine du cytosquelette
  • Une accumulation de cellules inflammatoires (neutrophiles puis macrophages) autour des fibres musculaires endommagées (que l’on peut aussi retrouver après un travail concentrique ou des étirements)

A savoir : La destruction des myofibrilles est la principale cause d’apoptose, et d’inflammation locale. Elle conduit à une dégradation supplémentaire des protéines et à une autophagie.

Les lésions musculaires ultrastructurales sont associées à une augmentation des concentrations de calcium cytosolique, qui sont considérées comme activant les enzymes protéolytiques et augmentant la perméabilité membranaire des cellules et la perméabilité vasculaire, bien que son rôle exact reste incertain.

3.2 La réponse inflammatoire [1]

Les courbatures sont associées à des déséquilibres électrolytiques, à l’accumulation et à l’infiltration de leucocytes dans le muscle exercé ainsi qu’à une régulation positive des cytokines pro-inflammatoires circulantes. Malgré que les sources cellulaires des cytokines soient encore floues, on sait qu’elles conduisent à une plus grande perméabilité vasculaire et à une perturbation de la microcirculation. On sait aussi que le tissu musculaire affecté est envahi par des cellules immunitaires (des neutrophiles plusieurs heures après un exercice excentrique et ensuite par des macrophages).

On va aussi pouvoir constater une accumulation de liquide interstitiel accompagnée d’un œdème intramusculaire ainsi que la présence de diverses substances pro-inflammatoires telles que le facteur de croissance nerveuse (NGF), l’histamine, les bradykinines et les prostaglandines sont décrites comme responsables de l’activation des nocicepteurs et de la sensation de douleur.

Une étude a aussi rapporté que les dommages des muscles squelettiques sont liés à la production d’espèces réactives de l’oxygène (ROS), entraînant une inflammation et un stress oxydatif supplémentaires.

A la vue de ces résultats, on peut donc expliquer la survenue de courbatures par l’endommagement des cellules musculaires et une réaction inflammatoire. Cela pourrait se tenir, mais ça serait oublié la prise en compte de certains paramètres, qui vont à l’encontre de ces explications, les rendant incomplètes ou erronées :

  • L’évolution dans le temps des dommages et des changements dégénératifs ne correspond pas bien à celle des courbatures. De plus, on peut retrouver un sarcolemme perturbé, des fibres dégénératives, un élargissement de la bande ligne Z et des noyaux centraux chez les individus indolores et les athlètes qui font régulièrement de l’exercice [1]. On ne peut donc pas conclure sur le fait que ces phénomènes engendrent forcément des courbatures.
  • Le taux de créatine kinase qui augmente lors de dommages musculaires, n’est pas en corrélation avec la douleur. On peut donc avoir des dommages musculaires sans douleur et des douleurs sans dommage musculaire [3].
  • Les médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) aident rarement à réduire les DOMS [2]

Il existe donc des limites à cette hypothèse. Il doit donc exister d’autres mécanismes expliquant l’apparition des courbatures.

4. Le rôle des fascias dans l’apparition des courbatures

Dans cette partie je vais vous montrer que le tissu fascial joue un rôle important dans l’apparition des courbatures.

4.1 Le fascia : un tissu très innervé [4]

On sait que les muscles squelettiques contiennent quatre types de fibres afférentes : le groupe I (Aα), II (Aβ), III (Aδ) et IV (C), et les terminaisons nerveuses libres (appartenant aux groupes III et IV) qui répondent principalement à des stimuli nociceptifs tels que la pression mécanique, la chaleur, le froid et les substances algésiques.

Il convient de noter que les terminaisons nerveuses libres (nocicepteurs) sont situées le long des parois des artères et principalement dans le tissu conjonctif environnant. Le tissu conjonctif tel que le fascia, contient une forte densité de nocicepteurs qui peut être responsable des douleurs courbatures.

A savoir : Le fascia est 5 fois plus innervé que le muscle, selon des études sur l’animal.

4.2 Le fascia comme origine de la douleur [5]

La douleur au niveau fascial :

Pour confirmer l’hypothèse que les courbatures ne sont pas d’origine musculaire, des chercheurs ont injecté au niveau intramusculaire (tibial antérieur), une solution saline hypertonique chez des personnes présentant des courbatures suite à un travail excentrique. Cela n’a pas augmenté l’intensité de la douleur (comparativement à un muscle non courbaturé). Cependant, l’injection de cette même solution au niveau de l’épimysium (fascia qui enveloppe le muscle), d’un muscle présentant des courbatures a augmenté l’intensité de la douleur (comparativement à l’injection intramusculaire ou fasciale d’un muscle non exercé).

L’absence d’augmentation de la réponse à la douleur suite à l’injection de muscles profonds (au site de sensibilité perçue maximale) implique que la spécificité tissulaire est importante dans la perception de la douleur associée aux courbatures. Le fascia a donc un rôle majeur dans l’apparition des courbatures, comparativement au tissu musculaire.

A savoir [6] : On retrouve une hyperalgésie mécanique (phénomène à l’origine des courbatures) au niveau de la jonction tendon-os ainsi qu’au niveau du corps musculaire, 48 heures après un exercice excentrique. Au niveau tendineux, en revanche, on ne trouve pas d’hyperalgésie mécanique. La sensibilité du tissu tendineux n’est donc pas affectée par un exercice excentrique aigu.

Pour aller plus loin [5] :

Il est possible que le sérum physiologique hypertonique par un effet de mécanique ait provoqué une déformation du tissu fascial provoquant ainsi une plus grande douleur à la déformation mécanique car l’injection s’est faite au niveau où le tissu était le plus sensibilisé. Dans le cadre du protocole de cette étude, il n’y a aucun moyen d’exclure cette possibilité et les études futures devraient donc inclure l’injection de solution saline isotonique comme contrôle pour confirmer les résultats.

L’inflammation du tissu fascial et les dommages du fascia [4] :

Il a été prouvé que les courbatures étaient liées à une augmentation plus importante des marqueurs inflammatoires tels que les lymphocytes T (CD3), les granulocytes (CD11b) et le facteur inhibiteur de la leucémie (LIF) dans l’épimysium, mais pas dans les fibres musculaires squelettiques.

En plus de l’inflammation on va retrouver des modifications du fascia, c’est-à-dire des dommages et un remodelage de la matrice extra cellulaire.

Pour conclure sur cette partie, l’ensemble de ces résultats suggèrent que les courbatures sont attribuées à une sensibilité accrue du tissu conjonctif entourant les fibres musculaires (endomysium), les faisceaux musculaires (périmysium) ou le fascia (epimysium) aux stimuli mécaniques, tels que la contraction, l’étirement, et la palpation. Il faut donc retenir que les études donne pour origine des courbatures, les lésions et l’inflammation du tissu conjonctif et non les lésions et l’inflammation des fibres musculaires.

5. La sensibilisation du fascia : le mécanisme clef des courbatures

5.1 Une sensibilisation périphérique et centrale [4,6]

  • La sensibilisation périphérique : Elle a pour origine les dommages au niveau du tissus conjonctif, à la suite de contractions excentriques, entraînant l’activation de plus de nocicepteurs. On a donc une augmentation de la sensibilité périphérique dans le fascia (via les fibres C et A delta), avec une libération de substances chimiques nociceptives (substance P, peptide lié au gène de la calcitonine, neurokinine A) provoquant une inflammation neurogène (ou réflexe d’axone) dans la région endommagée.
  • La sensibilisation centrale : A la suite de la sensibilisation périphérique, il y a une allodynie médiée par les fibres afférentes myélinisées et une amélioration de la sommation temporelle de l’apport nociceptif au niveau de la moelle épinière (au niveau de la corne dorsale), augmentant à son tour la réponse à la douleur suite à un stimulus douloureux au niveau du fascia, ce qui va induire les courbatures.

5.2 Le rôle de la voie du récepteur B2-NGF, dans le phénomène de sensibilisation [2]

La bradykinine :

La bradykinine (BK) est libérée pendant l’exercice via l’activation de récepteurs vasculaires. Elle est connue pour sensibiliser les fibres afférentes dans plusieurs tissus suite à une stimulation mécanique via le récepteur B2 de la bradykinine. Des expériences, ont montré que la BK agit pendant l’exercice et peut-être peu de temps après l’exercice (jusqu’à 1 h). Cependant, la BK n’est pas présente 2 jours après l’exercice et ne peut donc pas être responsable de la sensibilisation des fibres musculaires qui vont être hyperalgésique après un travail excentrique.

Un antagoniste des récepteurs B2 de la bradykinine peut complètement supprimer la génération d’hyperalgésie mécanique musculaire lors de l’injection avant le travail excentrique.  Les expériences ont donc conclu que la BK, via le récepteur B2 de la bradykinine, est impliquée de manière cruciale dans l’initiation des processus qui conduisent à l’hyperalgésie mécanique, mais ce n’est pas une substance qui sensibilise les nocicepteurs pour induire une hyperalgésie mécanique.

Le nerve growth factor :

Le nerve growth factor (NGF) est connu pour être produit dans le muscle après une ischémie ou une lésion nerveuse, mais aussi pour induire une hyperalgésie mécanique sans induire de douleur apparente lors de l’injection dans le muscle. Il a été montré que suite à un travail excentrique on a une augmentation de la production de NGF sur une période de temps (12 h à 2 jours après l’exercice) qui est en corrélation avec l’hyperalgésie mécanique musculaire. Les études indiquent que la régulation positive du NGF par activation des récepteurs B2 de la bradykinine est essentielle à l’hyperalgésie mécanique après l’effort.

A savoir : Dans cette étude il n’y a aucun signe inflammatoire apparent, il est donc peu probable que les cellules inflammatoires soient responsables de la production de NGF. Cependant, lorsqu’une inflammation est produite après un travail excentrique sévère (par exemple), le NGF est produit dans les cellules inflammatoires et les fibres musculaires en régénération.

5.3 Le rôle de la voie COX2-GDNF, dans le phénomène de sensibilisation [2]

En plus du récepteur B2 de la bradykinine et de la voie NGF, il a été montré que la cyclooxygénase (COX)-2 et le facteur neurotrophique dérivé de la lignée cellulaire gliale (GDNF) étaient également impliqués dans les courbatures. En effet, la synthèse de GDNF augmente dans le muscle exercé 12 heures à 1 jour après le travail.

Les inhibiteurs de la COX-2, mais pas les inhibiteurs de la COX-1, administrés par voie orale avant un travail excentrique, ont complètement bloqué le développement des courbatures, ainsi que la synthèse de GDNF. Cependant, lorsqu’ils ont été administrés 2 jours après, ils n’ont pas réussi à inverser l’hyperalgésie mécanique. De plus, les inhibiteurs de COX-2 n’ont pas supprimé la régulation positive du NGF.

Sur la base de ces résultats, on peut conclure que la régulation positive du GDNF via l’activation de la COX-2 est essentielle à l’hyperalgésie mécanique après l’exercice. On peut noter, que le GDNF a sensibilisé les fibres Adelta alors que le NGF a sensibilisé les fibres C.

Pour aller plus loin (étude chez l’animal) :

Il semble que la régulation positive du NGF, reste inchangée après l’application des inhibiteurs de COX-2, mais que le développement des courbatures soit tout de même bloqué. Cette observation pourrait suggérer que le NGF produit après l’exercice excentrique n’est pas présent en quantité suffisamment importantes pour sensibiliser les fibres C et induire une hyperalgésie mécanique.

On peut ajouter que le récepteur EP2 aux prostaglandines joue un rôle important dans la génération de l’hyperalgésie mécanique, par la régulation positive de COX-2 via un mécanisme de rétroaction positive [7].

6. Conclusion

Les courbatures s’expliquent donc par des facteurs centraux qui provoquent l’apparition de la douleur, et pas seulement une réaction inflammatoire et des dommages au niveau musculaire et fascial. On comprend bien, après la lecture de cet article, qu’il existe, derrière un phénomène aussi populaire que les courbatures, un ensemble de processus physiologiques, même s’il reste encore beaucoup de chose à découvrir. Cependant, avec ces connaissances, cela ouvre la porte à la prévention et au traitement des courbatures, que je traiterai dans d’autres articles.

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BIBLIOGRAPHIE

[1] Hotfiel T, Freiwald J, Hoppe MW, Lutter C, Forst R, Grim C, Bloch W, Hüttel M, Heiss R. Advances in Delayed-Onset Muscle Soreness (DOMS): Part I: Pathogenesis and Diagnostics. Sportverletz Sportschaden. 2018 Dec;32(4):243-250.

[2] Mizumura K, Taguchi T. Delayed onset muscle soreness: Involvement of neurotrophic factors. J Physiol Sci. 2016 Jan;66(1):43-52.

[3] Meneghel AJ, Verlengia R, Crisp AH, Aoki MS, Nosaka K, da Mota GR, Lopes CR. Muscle damage of resistance-trained men after two bouts of eccentric bench press exercise. J Strength Cond Res. 2014 Oct;28(10):2961-6.

[4] Lau WY, Blazevich AJ, Newton MJ, Wu SS, Nosaka K. Changes in electrical pain threshold of fascia and muscle after initial and secondary bouts of elbow flexor eccentric exercise. Eur J Appl Physiol. 2015 May;115(5):959-68.

[5] Gibson W, Arendt-Nielsen L, Taguchi T, Mizumura K, Graven-Nielsen T. Increased pain from muscle fascia following eccentric exercise: animal and human findings. Exp Brain Res. 2009 Apr;194(2):299-308.

[6] Gibson W, Arendt-Nielsen L, Graven-Nielsen T. Delayed onset muscle soreness at tendon-bone junction and muscle tissue is associated with facilitated referred pain. Exp Brain Res. 2006 Sep;174(2):351-60.

[7] Ota H, Katanosaka K, Murase S, Furuyashiki T, Narumiya S, Mizumura K. EP2 receptor plays pivotal roles in generating mechanical hyperalgesia after lengthening contractions. Scand J Med Sci Sports. 2018 Mar;28(3):826-833.

 

 

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