L’objectif de cet article, est de revenir sur une étude publiée en 2019 [1], qui montre que l’alimentation à un rôle de modulation de la douleur. Quand on sait comment la douleur peut devenir invalidante d’un point de vue physique et émotionnelle, notamment quand elle devient chronique, il est important de savoir que l’on peut jouer sur le levier de la nutrition.

Cet article sera ponctué de rappel physiologique sur la douleur.

1. La définition de la douleur

Selon, The International Association for the Study of Pain (IASP), la douleur se définit comme : « Une sensation désagréable ou une expérience émotionnelle associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ».

Il est important de noté que cette définition prend en compte la présence d’une blessure ou non, et le lien avec les émotions. En effet, la douleur n’est pas uniquement liée à une altération de la structure anatomique. Actuellement, on parle de modèle bio-psycho-social de la douleur [2].

2. La douleur en chiffre

Les douleurs chroniques, telles que les maux de dos ou les pathologies inflammatoires, constituent un problème de santé publique dans la plupart des pays du monde. En effet, aux Etats-Unis, 52.22 % des arrêts de travail sont dus à des douleurs lombaires, des douleurs cervicales et à des douleurs articulaires.

Par ailleurs, la douleur entraîne des coûts financiers exorbitants pour la société. Les affections caractérisées par des douleurs chroniques, telles que les maladies musculo-squelettiques et les maux de tête, occupent cinq des dix principales causes d’invalidité. Le coût annuel total de la douleur chronique en Europe représente environ 1.5 à 3.0 % du produit intérieur brut, un fardeau supérieur au coût estimé des maladies cardiovasculaires, du cancer ou du diabète.

3. Des nouvelles recherches

La capacité de l’alimentation à moduler l’apparition de la douleur et la sensibilité à la douleur au niveau périphérique a récemment fait l’objet d’une attention particulière, afin de mieux prévenir les maladies, et l’apparition de la douleur chronique, qui est l’une des principales causes d’intervention médicale, de coûts de la santé et de consultation ambulatoire. De plus en plus de preuves montrent le rôle fondamental des habitudes alimentaires et d’une mauvaise hygiène de vie dans l’apparition de la douleur et dans sa perception. C’est ce que nous allons étudier au travers de cette étude.

4. Les facteurs de risques de la douleur chronique

Les facteurs de risque communs contribuant au développement de la douleur chronique sont :

  • Le sexe féminin
  • L’âge avancé
  • Le statut socio-économique
  • Les facteurs professionnels
  • La toxicomanie
  • Les relations interpersonnelles violentes.

Ces dernières années, des recherches ont aussi été menées dans le but d’étudier le lien entre la douleur chronique et la génétique, l’épigénétique et l’environnement.

5. Rappel sur la physiologie de la douleur

Afin de bien comprendre cette étude, je voulais vous faire un rappel très simple sur la physiologie de la douleur.

5.1 Les différents types de douleur

On décompte en général 3 types de douleur :

  • La douleur nociceptive, qui est déclenchée lors de l’activation d’un nocicepteur.
  • La douleur neuropathie ou neurogène, qui est dû à un dysfonctionnement des voies nerveuses périphériques ou centrales, avec ou sans lésion tissulaire.
  • La douleur nociplastique.

5.2 Les nocicepteurs

Les nocicepteurs peuvent être activés par de nombreux stimuli [3] :

  • Des stimuli mécaniques
  • Des stimuli thermiques
  • Des stimulis chimiques : comme les molécules inflammatoires, l’adénosine triphosphate (ATP), l’acidité (H+), la substance P…

5.3 Les fibres conductrices de la douleur

Il existe différents types de fibres permettant de conduire la douleur [4] :

  • Les fibres A-béta
  • Les fibres A-delta
  • Les fibres C (ces fibres peuvent être afférentes et efférentes)

Chacune possédant des caractéristiques différentes.

5.4 Les différentes voies de la douleur

On différencie 2 voies différentes.

La voie néo-spino-thalamique :

C’est la voie empruntée par les fibres A-delta.

C’est un trajet composé de 3 neurones, avec un relais au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière (changement de côté au niveau de la moelle épinière) et un au niveau du thalamus, avant de rejoindre le cortex somatosensoriel.

C’est une voie à conduction rapide responsable d’une sensation consciente de la douleur aiguë et que l’on peut localiser précisément.

La voie paléo-spino-thalamique :

C’est la voie empruntée par les fibres C.

C’est un trajet composé de 6 neurones, avec un relais au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière (changement de côté au niveau de la moelle épinière) et un au niveau du thalamus, avant de rejoindre le cortex somatosensoriel. Mais elle possède des relais au niveau de la substance grise périaqueducal, de la rostral ventral medulla, du noyau parabrahcial ainsi qu’un relai au niveau de l’amygdale.

C’est une voie à conduction lente qui est responsable après stimulation nociceptive de la douleur sourde, mal localisée. Elle met en jeu des comportements d’éveil et de défense et est à l’origine des composantes cognitives, affectives et neurovégétatives de la sensation douloureuse.

6. L’importance du microbiote

Après ces rappels physiologiques, on va pouvoir rentrer dans le vif du sujet, en commençant par l’importance du microbiote. En effet, de nombreuses études mettent en avant le lien entre microbiote et toutes sortes de pathologies. Par ailleurs, étant donné que nous nous intéressons dans cet article, à la nutrition, son lien est d’autant plus clair. En effet, chaque nutriment qui est consommer, rencontre dans un premier temps le microbiote intestinal, avant d’être absorbés sous forme de produits bioactifs. Par conséquent, toute question concernant le lien entre régime alimentaire et douleur est étroitement liée au microbiote intestinal. Une simple constipation peut être associée à une dysbiose ou à des altérations fonctionnelles de la microflore intestinale, ce qui peut exacerber la douleur chronique dans plusieurs régions du corps, en induisant un trouble neurochimique entérique.

Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il existe un dialogue entre l’axe microbiote intestinal et le cerveau et avec le système immunitaire. La compréhension de ces relations va nous permettre de comprendre le rôle du microbiote dans la douleur.

7. Le lien entre alimentation et douleur

7.1 Les acides gras à chaînes courtes

Certains lipides bioactifs, appartenant notamment à la famille des N-acyléthanolamines, (composé par : l’acide palmitique, l’acide arachidonique et l’acide oléique et les acides gras à chaîne courte ou AGCC, tels que le butyrate, le propionate, l’acétate) sont des modulateurs fondamentaux de l’axe microbiote/cerveau, car ils peuvent moduler l’inflammation.

A savoir : Le butyrate, le propionate et l’acétate sont fabriqués par fermentation de substances non digérées par les bactéries au niveau du côlon.

En pratique :

On sait que la consommation de fibres alimentaires est fondamentale pour réduire le risque de douleur abdominale et musculo-articulaire, probablement grâce à la formation d’AGCC qu’elle engendre et qui permet de moduler la réponse immunitaire et inflammatoire.

7.2 Les acides gras-polyinsaturés (AGPI)

La grande majorité des syndromes douloureux est liée à l’inflammation, elle-même liée au microbiome intestinal, lui-même directement modulé par l’alimentation quotidienne. Le microbiome est donc considéré comme un excellent modulateur de l’initiation et du développement de la douleur et de l’inflammation. Cela suggère qu’un régime reposant sur la consommation de molécules naturellement anti-inflammatoires ou immunomodulatrices, capable de prévenir et / ou de réduire la douleur.

L’apport en AGPI, notamment en oméga-3, est considéré comme particulièrement efficace pour modifier le microbiote intestinal humain en diminuant la présence de Faecalibacteriumet et en augmentant les bactéroidetes et les bactéries productrices de butyrate de la famille des Lachnospiracées, ce qui permet d’améliorer la réponse anti-inflammatoire.

Le rôle des AGPI dans l’homéostasie du microbiote intestinal est donc crucial, i faut donc un apport adéquat en AGPI oméga-3, mais il doit être assorti d’un ratio oméga 6 / oméga 3 adéquat, pour que le microbiote puisse assurer son rôle anti-inflammatoire et anti-nociceptif.

En pratique :

Un régime alimentaire contenant de l’acide linoléique (oméga-6) et linolénique (oméga-3) est intéressant pour moduler la douleur et les démangeaisons de la peau.

Chez les patients présentant une douleur à l’épaule liée à la coiffe des rotateurs, un effet thérapeutique modeste a été observé par la consommation d’AGPI oméga-3.

La prise d’oméga-3 semble particulièrement appropriée pour réduire les douleurs articulaires dans plusieurs états inflammatoires. De plus, elle aide à prévenir la douleur chronique, en particulier lors de la dysménorrhée.

7.3 Les polyamines

Les polyamines telles que la spermidine, la spermine, la putrescine, la cadavérine sont actuellement considérées comme des substances anti-nociceptives prometteuses, notamment à hautes doses. Ce sont des régulateurs endogènes du récepteur de vanilloïde 1, des récepteurs sensibles à l’acide et des récepteurs glutamatergique.

Les polyamines sont un bon exemple de la complexité avec laquelle de telles molécules omniprésentes sont impliquées dans une augmentation des phénomènes de douleur, malgré leur capacité à atténuer la nociception dans certaines conditions complexes. Car ils peuvent diminuer la douleur nociceptive, mais peuvent aussi augmenter les douleurs neurogènes, en ciblant le récepteur N-méthyl-D-aspartate ou NMDA. Dans ce contexte, les régimes alimentaires déficients en polyamines font partie des habitudes alimentaires et des outils thérapeutiques pour diminuer la douleur.

En pratique :

Nombre d’entre elles sont naturellement présentes dans les légumineuses telles que les haricots ou le soja, les céréales, les champignons, et certaines algues. Ces substances sont aussi produites par le microbiote intestinal.

8. L’alimentation et la douleur : les molécules anti-inflammatoires et anti-nociceptives présentes dans l’alimentation

8.1 Les polyphénols et les acides phénoliques. Leurs rôles dans l’inflammation et les canaux transient receptor potential (TRP)

Les polyphénols d’origine végétale sont des substances largement reconnues comme étant capables de moduler l’inflammation en tant que substances anti-inflammatoires.

Fondamentalement, au moins trois méthodes principales peuvent décrire les effets antinociceptifs et analgésiques des flavonoïdes dérivés de plantes :

  1. En inhibant le signal inflammatoire et en modulant l’activité de la cyclooxygénase-2 (COX2)
  2. En ciblant la signalisation L-arginine / oxyde nitrique (voie chimique)
  3. En interagissant avec les voies de neuromodulation, y compris la signalisation du récepteur GABA et les récepteurs opiacés

Les polyphénols et leurs actions anti-inflammatoires :

Le moyen le plus courant par lequel les polyphénols inhibent la douleur implique leur potentiel anti-inflammatoire. Les flavonoïdes alimentaires généralement contenus dans le vin rouge, les baies, le thé vert, le soja et la famille des Zinziberaceae (zerumbone et curcumine) sont de puissantes molécules anti-inflammatoires et anti-nociceptives.

L’acide caféique présent dans le vin rouge, les prunes, les baies et en particulier dans les épices, est une molécule anti-oxydante bien connue et se présente sous forme synergique avec d’autres acides phénoliques (acide p-coumarique, l’acide férulique, l’ester phénétylique de l’acide caféique ou CAPE) et les flavonoïdes. Par ailleurs, CAPE, la forme la plus active de l’acide caféique, est un composé qui peut soulager la douleur neuropathique en inhibant certaines protéines (notamment p38 / NF-κB) dans la microglie, exerçant ainsi une action anti-inflammatoire et ralentissant la production des cytokines pro-inflammatoires TNF-α, IL- 6 et IL-1β.

Les dimères de l’acide férulique (FAD) ont récemment été synthétisés et ont montré un puissant effet analgésique, c’est un antinociceptif non opioïde, qui était principalement médiée par le récepteur de l’adénosine 3 (A3AR).

Les polyphénols et leurs actions sur la signalisation L-arginine / oxyde nitrique

Cependant, l’effet anti-nociceptif exercé par les composés phénoliques naturels n’est pas uniquement anti-inflammatoire. Par exemple, la myricitrine est un flavonol, qui agit comme une molécule anti-nociceptive en affectant la voie de l’oxyde nitrique / L-arginine et la voie de la protéine kinase C

A savoir : Son effet n’est pas inhibé par un antagoniste des opioïdes, ce qui suggère que ce flavonoïde exerce une action analgésique, en ciblant des voies chimiques ou mécaniques spécifiques de la douleur.

Le zerumbone, qui est  flavonoïde présent dans le gingembre, a montré un effet analgésique en ciblant la voie biochimique de l’oxyde nitrique de la même manière que la myricitrine.

En pratique :

Dans un essai croisé randomisé en double aveugle, l’utilisation de 50 g / jour de fraises, connues pour contenir de la catéchine, de l’épicatéchine, de la quercétine, du kaempférol et de l’acide ellagique, a permis d’atténuer les douleurs liées à l’arthrose du genou grâce à une réduction fondamentale la libération de cytokines pro-inflammatoires IL-6, TNF-α et IL-1β.

Des preuves similaires ont également été rapportées par les bleuets. En outre, de nombreux autres flavonoïdes exercent un potentiel analgésique en ciblant également le récepteur vanilloïde (transient receptor potential vanilloide 1 ou TRPV1).

A savoir : Un régime alimentaire contenant des flavonoïdes peut être suggéré comme traitement adjuvant dans le syndrome du côlon irritable.

Rappels physiologiques sur les canaux TRPV1 :

L’activation de canaux TRPV1 dans les neurones nociceptifs est fondamentale pour « ressentir » une douleur, ils activent la libération de neuropeptides et de neuromodulateurs, qui sont perçus via les potentiels d’action comme une douleur par les zones du système nerveux central supérieur. Il convient de noter que le rôle des canaux TRP dans l’activité des fibres C a été particulièrement étudié ces dernières années.

8.2 La cyclooxygénase et les voies L-arginine / oxyde nitrique dans l’apparition de la douleur et le rôle des flavonoïdes naturels

Rappel physiologique sur la cyclooxygénase :

Les flavonoïdes exercent leur activité sur la voie de la cyclooxygénase (COX), en particulier sur la COX2. La cyclooxygénase ou prostaglandine-endoperoxyde-synthase est une enzyme permettant la synthèse de prostaglandine à partir d’acide arachidonique.

Les inhibiteurs de la cyclooxygénase-2 (COX2) et les inhibiteurs non-sélectifs de la cyclooxygénase (anti-inflammatoires non-stéroïdiens traditionnels ou AINS), dont le mécanisme d’action principal est d’inhiber la synthèse de prostaglandines et d’autres dérivés de l’acide arachidonique, induisent une transmission réduite du signal de douleur au système nerveux central via les fibres C aux stimuli douloureux. De ce fait, la sensibilité à la douleur et la sécrétion de peptides pro-inflammatoires, tels que la substance P provenant de fibres C, sont réduites. Cela se traduit par une inflammation moins neurogène, ainsi qu’une stimulation réduite de divers leucocytes, y compris les macrophages et les mastocytes. Les médecins et les autorités de santé ne semblent pas au courant que la synthèse des prostaglandines ou certains neuromodulateurs peut également être ajustée via des modifications diététiques.

En pratique :

Certains flavonoïdes, te que la génistéine (sioflavone issu du soja notamment), ciblent la voie du thromboxane A2 (TXA2) permettant d’inhiber l’inflammation chronique. Il existe aussi la naringine, qui peut réduire la douleur liée à l’arthrose en diminuant la production de prostaglandine E2 et d’oxyde nitrique.

L’inhibition par les flavonoïdes de l’implication des prostaglandines dans la douleur est particulièrement axée sur l’inhibition de la prostanglandine E2, cette prostaglandine ayant un impact important sur les signaux de douleur. Il Il existe une relation étroite existe entre COX-2 et NO (inducible NOS, forme présente dans les macrophages). Par conséquent, l’activité des flavonoïdes sur la voie L-arginine / iNOS / NO est étroitement associée à l’inhibition de la prostanglandine E2 et à la réduction de la douleur. Par exemple, l’action anti-nociceptive de flavonoïdes tels que la rutine (contenue dans le blé et les asperges), la robinine et la gossypétine 3-glucuronide 8-glucoside (trouvée dans les légumes verts) est exercée en ciblant la voie L-arginine / iNOS / NO. Ce type d’inhibition de la douleur est souvent lié à une action anti-inflammatoire, et parfois cible aussi les mécanismes de la douleur neurogène.

9. L’alimentation est la douleur neurogène

9.1 Les flavonoïdes et la douleur neurogène

La quercétine est un flavonoïde particulièrement abondant dans les oignons rouges, les baies, le brocoli et les pommes. Son action anti-nociceptive est bien connue, notamment via la voie L-arginine / oxyde nitrique, la sérotonine et les systèmes GABAergiques.

L’action anti-oxydante et réactive des flavonoïdes sur les espèces oxygènées réactives ou EOR (qu’on peut simplifié par le terme : radicaux libres) est fondamentale, car les EOR réduisent la libération de GABA dans la colonne vertébrale et induisent des douleurs neuropathiques.

Au niveau périphérique, les flavonoïdes tels que la génistéine, présente dans le soja, peuvent réduire l’hypersensibilité provoquée par les EOR sur les fibres C, via les récepteurs TRP, l’ankyrine 1 (TRPA1) et les récepteurs P2X. Cela pourrait également être obtenu en activant les récepteurs cannabinoïdes CB1, qui sont ciblés par certains flavonoïdes.

Les flavonoïdes contenus dans la phytothérapie chinoise «Le sang de dragon», c’est-à-dire certaines flavones et méthylcaclchones, exercent un effet analgésique en freinant la production et la libération de la substance P via l’inhibition de la signalisation de la COX-2 et du calcium intracellulaire. Une activité élevée des fibres C augmentera non seulement la sensibilité à la douleur mais pourrait également contribuer à aggraver l’état de la maladie en raison de l’augmentation de l’inflammation neurogène. Par exemple, la substance P provenant de fibres C active les macrophages, qui produisent à leur tour davantage de TNF-α, ce qui peut accentuer la sensibilisation des fibres C.

La capacité des flavonoïdes à réduire l’hyperalgésie peut également concerner les récepteurs opioïdes μ et δ, en plus des effets sur le système endocannabinoïde. Par exemple, la morine flavonoïde, présente dans les fruits Moracées, tels que la figue, le fruit à pain, le mûrier, le banian et l’Oranger des Osages, réduit la douleur liée au cancer des os en agissant sur le système récepteur des cannabinoïdes CB2.

Des rapports antérieurs ont montré que la quercitrine, la quercétine et le kaempférol dans des extraits d’Hypericum perforatum pouvaient se lier aux récepteurs opioïdes μ, en exerçant une action analgésique.

Plus récemment, un rôle fondamental dans la douleur idiopathique a été attribué aux récepteurs sigma-1, car ils régulent également le stress du réticulum endoplasmique et la signalisation EOR. Fait intéressant, les flavonoïdes peuvent à la fois cibler les récepteurs opioïdes et les récepteurs sigma-1. L’activité antinociceptive exercée par les flavonoïdes est donc particulièrement complexe et rend compte d’un large spectre de voies et de mécanismes englobant l’hyperalgésie d’origine chimique (voie L-arginine / iNOS / NO, douleur induite par les récepteurs des cellules T et la protéine kinase C, troubles mitochondriaux et stress oxydant provoquant une inflammation), et l’hyperalgésie neurogène (récepteurs GABAA, récepteur des opioïdes, récepteur sigma-1, substance P), suggérant ainsi qu’une consommation quotidienne de flavonoïdes peut permettre de diminuer la nociception et améliorer la sensation globale de bien-être.

Dans cette perspective, le potentiel des antioxydants polyphénoliques naturels contenus dans les aliments d’origine végétale est fondamental.

10. La curcumine et le zerumbone

L’apport en molécules anti-oxydantes, capables d’induire une action anti-nociceptive, est généralement différent dans les pays occidentaux et orientaux, malgré la disponibilité de ces sources végétales grâce à la mondialisation économique. En général, les flavonoïdes anti-inflammatoires sont très présents dans les habitudes alimentaires occidentales et leur effet anti-nociceptif est principalement dû à la capacité de ces molécules de lutter contre la douleur associée à l’inflammation, à la L-arginine / au NO ou au stress oxydatif, et moins fréquemment une voie de signalisation neurogène.

Les curcuminoïdes et les zerumbones, ainsi que les isoflavonoïdes et les catéchines, sont beaucoup plus présents dans les régimes alimentaires orientaux, où les plantes contiennent de nombreux antagonistes des opioïdes et des alcaloïdes anti-nociceptifs et sédatifs. Bien que nombre de ces substances puissent soulager la douleur via les mécanismes décrits dans le présent document, les pays de l’Ouest et de l’Est sont caractérisés par ces différences marquées dans les régimes quotidien. La zerumbone est une substance très fréquente, qui a été assimilée aux habitudes alimentaires des pays de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique du Nord.

La curcumine :

La curcumine est un composé bioactif, donnant sa couleur au curcuma. Biologiquement, la curcumine est constituée d’une classe de polyphénols appelés curcuminoïdes, connus pour leurs effets antioxydants qui sont censés atténuer divers types de douleur.

Des études cliniques ont montré que la curcumine peut être utilisée pour améliorer la cicatrisation des plaies et traiter les douleurs aiguës des patients présentant des brûlures, grâce à ses propriétés anti-inflammatoires.

La curcumine a récemment été évaluée pour son utilisation dans les douleurs musculo-squelettiques chroniques. Elle a révélé des effets positifs, en particulier sur l’arthrose, ainsi que d’autres douleurs musculo-squelettiques chroniques. Un essai contrôlé randomisé très récent montre une réduction significative de la douleur, toujours chez les patients souffrant d’arthrose et encore plus prononcée lors de l’association de curcumine et d’acide boswellique.

Une méta-analyse récente a indiqué que les flavonoïdes du curcuma entraînent un soulagement de la douleur dans l’arthrite, sur la base d’échelles de douleur reconnues à l’échelle internationale, bien que davantage d’essai contrôlé randomisé de haute qualité soient nécessaires.

Le zerumbone :

Le zerumbone est un composé commun présent dans la famille des Zingiberaceae, qui comprend le gingembre. C’est un sesquiterpénoïde ayant une action anti-nociceptive.

Le zerumbone, possède également des potentiels anti-nociceptifs et anti-allodyniques, qui s’exercent probablement via une voie anti-inflammatoire dans les neurones nociceptifs.

La capacité des extraits de gingembre à soulager la douleur est largement connue et grandement appréciée en médecine traditionnelle. Le gingembre peut également lutter contre la douleur liée à la dysménorrhée primaire ainsi qu’à l’acide méfénamique et a montré de bonnes performances chez les sujets peu répondeurs aux AINS et souffrant de douleurs d’origine arthritique du genou. Le rôle de cette racine est donc particulièrement intéressant pour un panel diététique anti-nociceptif, d’autant plus que sa propriété analgésique est tout à fait comparable à celle de l’ibuprofène.

11. Les vitamines, minéraux, oligo-éléments et les oméga-3

11.1 Le sélénium

Pour réduire l’hyperactivité des fibres C, entraînant une hyperoxygénation des tissus locaux chez les patients souffrant de douleurs musculaires squelettiques chroniques ou d’insuffisance cardiaque, il est important de restaurer le système de défense anti-oxydant intracellulaire dans les fibres C en corrigeant les déficiences en gluthation ou en sélénium afin de contrecarrer l’activation oxydative de la protéine kinase C dans les fibres C, dans le but d’inhiber l’hypersensibilisation des fibres C.

Une carence en sélénium est associée à une exacerbation de la douleur, en particulier dans les cas de lésions musculaires et d’arthrose. En outre, il est important de corriger la surproduction de prostaglandines induite par le régime alimentaire, qui peut être provoquée par un rapport diététique relativement élevé en acides gras polyinsaturés oméga-6 et insuffisante en oméga-3, une faible consommation de sélénium ou des carences nutritionnelles conduisant à une déplétion du gluthation dans les tissus. En effet, les prostaglandines sensibilisent les fibres C à l’hyperalgésie et améliorent la libération de peptides vasodilatateurs à un taux donné de production d’acide lactique par le muscle.

Chez les patients souffrant de douleurs myofasciales chroniques, une diminution significative du contenu en sélénium dans les érythrocytes et un apport alimentaire insuffisant en ce nutriment ont été observés. La supplémentation en sélénium organique dans le traitement des patients atteints de pancréatite chronique accompagnée de douleurs sévères a entraîné un soulagement significatif de la douleur chez plus de 50 % des patients et une réduction substantielle du score de douleur.

Une association entre le sélénium et le soulagement de la douleur a également été observée chez des patients atteints de fibromyalgie et de troubles du muscle squelettique se manifestant par des douleurs musculaires.

11.2 Le magnésium

Le magnésium a beaucoup attiré l’attention ces dernières années pour son rôle dans le soulagement de la douleur, suggérant que le magnésium joue un rôle majeur dans la réduction de la douleur.

Dans une douleur de type orofaciale, c’est-à-dire l’arthrite de l’articulation temporo-mandibulaire, le magnésium a empêché l’hypernociception et atténué la douleur via les récepteurs du N-méthyl-D-aspartate (NMDA) dans le subnucleus caudalis, réduisant ainsi la douleur par la voie trigéminale. Une carence en magnésium induite par un régime alimentaire peut donc exacerber la sensibilité à la douleur via les voies nociceptives.

11.3 Le zinc

Cela peut également se produire en cas de carence en zinc (Zn), qui a été associée à une douleur provoquée par la cystite de la vessie.

Comme indiqué précédemment, le Zn associé au Se est fondamental dans la douleur myofasciale chronique. De plus, le Zn peut inhiber le TRPV1 et réduire la douleur neuropathique résultant d’une chimiothérapie.

11.4 La vitamine D

La vitamine D a un effet inhibiteur indirect sur la prostaglandine E2 (PGE2). Le rôle de la vitamine D dans le soulagement de la douleur ne peut pas être expliqué uniquement par son rôle dans le métabolisme des minéraux dans le tissu osseux, mais semble également impliquer des effets régulateurs sur les nocicepteurs et le sommeil, car il a été établi que la dérégulation du sommeil est associée à l’hyperalgésie. Ainsi, une supplémentation adéquate en vitamine D peut jouer un rôle thérapeutique non seulement dans les troubles du sommeil, mais également dans la prévention et le traitement de la douleur chronique. Une revue systématique incluant quatre essais cliniques randomisés chez des personnes souffrant de douleur chronique non-spécifique généralisée a montré une réduction significative de la douleur selon une échelle visuelle analogique chez les patients prenant de la vitamine D.

Ces données ont été confirmées par les résultats d’une autre méta-analyse incluant 8 ECR. Une diminution statistiquement significative de l’intensité de la douleur a été montrée lors de la prise de vitamine D. En ce qui concerne les patients souffrant de céphalées, une autre étude a suggéré certains avantages de l’intervention nutritionnelle, bien qu’il n’existe encore aucune interprétation qualitative valable dans ce domaine.

Il convient de noter que les études concernant la vitamine D sont connues pour être plutôt hétérogènes et donnent des résultats contradictoires, souvent dus à des différences dans l’évaluation du prétraitement, ainsi qu’à des doses et des fréquences d’administration différentes. Chez les femmes, une étude a suggéré les effets bénéfiques de plusieurs nutriments sur la dysménorrhée. Cependant, aucun bénéfice nutritionnel n’a été suffisamment évalué statistiquement dans ce trouble. Et dans une autre étude, la vitamine D n’avait aucun effet bénéfique chez les adultes souffrant de douleur chronique.

11.5 La taurine

La taurine, qui est un dérivé de la cystéine, est également un complément nutritionnel majeur contre la douleur. Il a été récemment rapporté que la taurine augmente, en tant qu’agoniste des récepteurs de la glycine A, l’effet analgésique de l’inhibiteur sélectif de la COX-2, le célécoxib, lorsqu’il est utilisé simultanément pour soulager la douleur centrale, diminuant ainsi la réponse nociceptive lors de la thermonociception et de la mécanonociception.

12. Conclusion de l’étude

La présente étude souligne la nécessité de créer un groupe d’experts chargé d’évaluer les données pour établir le meilleur programme alimentaire possible visant à réduire la douleur dans diverses conditions médicales. Il est évident qu’un programme diététique recommandé doit faire face à de nombreuses différences culturelles, doit tenir compte des habitudes alimentaires des différents pays du monde, doit prendre en considération la classe socio-économique et la disponibilité en nourriture.

Cette revue, fournit un aperçu des molécules les plus courantes dérivées d’un aliment présentant une action antinociceptive dans les rapports scientifiques actuels. L’un des principaux thèmes et préoccupations est la disponibilité des fruits et des légumes verts, la carence en vitamine D et surtout le rapport oméga-6/ oméga-3 dans l’alimentation quotidienne.

Dans de nombreux pays industrialisés occidentaux, le régime alimentaire est actuellement caractérisé par un ratio d’acides gras oméga-6 bien plus élevé que celui auquel les humains ont été adaptés tout au long de l’évolution biologique. Dans ces sociétés occidentales, les gens consomment beaucoup d’huile riche en oméga-6. La plupart des margarines et même des huiles végétales, à l’exception de l’huile de lin, de l’huile de cameline, l’huile de colza et l’huile d’olive ainsi que les huiles de poisson présentent un bon ration oméga-6 / oméga-3. De plus, il y a eu des changements dans la composition en acides gras de certains produits d’origine animale. Alors que les feuilles vertes et les espèces d’herbe dans les aliments pour animaux contiennent un excès d’acides gras oméga-3 par rapport aux acides gras oméga-6, les aliments pour animaux à base de maïs concentrés modernes présentent un rapport très élevé d’oméga-6 à oméga-3. Ces changements ont des impacts sur la composition de l’alimentation humaine. Et lorsque le ratio oméga-6 / oméga-3 est élevé, il en résulte un déséquilibre métabolique. Chez un patient arthritique, on peut s’attendre à ce que cela conduise à une augmentation de la synthèse de prostaglandine, entraînant une sensibilisation accrue des fibres C, et donc une inflammation neurogène accrue et davantage de douleur. Pour les patients souffrant de douleur, il peut être pratique que le rapport entre les acides gras oméga-6 et oméga-3 ne soit pas supérieur à environ 2 pour 1. La politique nutritionnelle devrait promouvoir la réduction de ce ratio dans tous les aliments. Bien que cela puisse impliquer d’importants défis pratiques pour l’industrie alimentaire et l’agriculture, cela aura un effet protecteur sur la santé humaine, notamment sur la douleur et sur la santé cardio-vasculaire.

En conclusion, malgré les nombreux rapports controversés sur l’adéquation des panels diététiques à la prévention et à la réduction de la nociception et de la douleur inflammatoire ou neurogène, le régime alimentaire reste, avec l’exercice physique et un mode de vie adéquat, une intervention possible sur la santé humaine pour réduire le fardeau de la douleur.

Flavonoïdes naturels que l’on peut retrouver dans l’alimentation et leurs effets :

BIBLIOGRAPHIE

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